Second article de la série consacrée aux derniers championnats de France à Canet-en-Roussillon : c’est à présent au barbu de la troupe de relater son vécu personnel de la deuxième journée de cette compétition.


Vendredi 24 juin, 9 heures. On ouvre un oeil dans l’appartement d’Argelès, que la famille Millet a bien gentiment mis à notre disposition. On est seuls, Thierry et moi, dans l’appartement. Olivier, qui y logeait avec nous plutôt que d’aller « dormir chez [sa] mère », a décollé un peu trop tôt pour nous. Il voulait absolument s’échauffer dans le bassin de compétition en prévision de son 100 pap de la fin de matinée. En ce qui nous concerne, nous ne nagerons que l’après-midi ; on ira à la piscine voir la course d’Olivier, un échauffement dans le même bassin pendant la pause méridienne nous suffira amplement.

Naturellement, notre organisation est sans faille comme d’habitude : on n’a pas fait de courses et on n’a rien pour déjeuner. Moi qui voulais tester la plage d’Argelès (« à 200 mètres de l’appart » selon François), ça semble mal parti. Après avoir traîné un peu et envisagé de s’échauffer dans la piscine de la résidence (un bassin de 25 rien que pour nous !), on jette nos affaires dans les sacs et on part en quête d’un petit déj ainsi que d’une connexion internet. Le plus petit dénominateur commun nous amène tous les deux à la même conclusion : faut qu’on trouve un McDo … on avise donc (après quelques dizaines de kilomètres de détours) l’un de ces sympathiques établissements. À quand remonte la dernière fois où je suis rentré dans un McDo pour y manger ? il y a 6-7 ans probablement, dans d’autres circonstances. Quelque part en Savoie avec une bonne vingtaine de kilos en plus. Une autre époque.

On se pose en terrasse pour déjeuner. Le café et le jus d’orange sont familiers car à peu près identifiables, pour le reste je laisse à Thierry le « sirop arôme érable » après en avoir lu la composition. Au moins le wifi fonctionne, le temps de prendre ses mails, de jeter un oeil à ce qui se passe au boulot, tiens un petit coup d’oeil en passant au site de l’USSE … ça par exemple ! Johny a déjà fait un article sur la journée de la veille !! on en prend connaissance avec Thierry. Le lyrisme de Johny nous amuse, on imagine dans quel état d’excitation il devait être la veille au soir devant le live. Tiens d’ailleurs je vais regarder sur le live ce qui se passe à la piscine pendant qu’on avale des ersatz de pancakes à la fois élastiques et spongieux … hé mais c’est qu’Olivier nage son 100 pap dans une petite demi-heure !

On saute dans la voiture de Thierry, direction la piscine. Ça va être chaud pour voir Olivier. On arrive au bassin (après être passés devant l’immense McDo qui se trouvait à 100 m de la piscine mais qu’on n’avait pas vu) où doivent également se trouver Jean-Paul et Jacqueline Misslin, arrivés la veille en camping car.

IMG_5545_1.jpgC’est bon, on est tout juste à l’heure pour le 100 pap d’Olivier. Aujourd’hui un adversaire à sa taille : l’ancien recordman d’Europe du 200 brasse Stéphan Perrot. On va voir ce que peut faire Olivier face à un ancien international, sélectionné olympique qui nageait un petit 58 grand bain il n’y a pas si longtemps, et que dans une autre vie je croisais au bord des bassins du sud de la France quand il nageait à l’ONN (moi dans les premières séries, lui dans les dernières !). Je vais devoir suivre tout ça sur tout petit écran vu que je suis à nouveau préposé (volontaire) aux vidéos des courses … c’est parti. En dépit de son départ explosif, Olivier se retrouve derrière à la sortie de la coulée. Il nage plutôt ample mais semble derrière aux 25 mètres, ça sera peut-être plus délicat que je ne pensais. La technique d’Olivier est quand même un cran au-dessus de celle de Perrot (eh oui), il est mieux placé sur l’eau et ses ondulations beaucoup plus efficaces lui permettent de produire une nage plus puissante, visuellement plus fluide aussi. Perrot allonge davantage mais cède un peu de terrain. Le passage aux 50 se fait dans le même mouvement, mais dès la sortie de coulée Olivier prend les choses en main. Il commence à mettre de la fréquence et prend immédiatement une demi-longueur d’avance. Aux 75 c’est plié, Olivier lâche tout sans se désunir et finit en 59″63. Perrot a pris plus d’une seconde dans la vue et félicite Olivier dès son arrivée.

IMG_7646_1.jpgQuelle démonstration. Je profite pleinement de cette victoire, au moins autant, si ce n’est plus, que si c’était la mienne.
IMG_7578_1.jpgSurtout, je suis heureux pour Olivier. Qu’est-ce qui fait d’ailleurs que j’apprécie autant ce gars-là ? on n’a pourtant pas grand chose en commun, nos niveaux dans l’eau sont diamétralement opposés, que dire de nos caractères … j’avais d’ailleurs un peu de mal, à mon arrivée dans la ligne d’eau de l’USSE il y a 4 ans, avec cet énergumène. Une manière de s’imposer dans la ligne pas toujours très correcte, un humour parfois franchement limite, un exercice de la provoc pas toujours de bon goût … il m’arrivait parfois de redouter son arrivée pendant l’échauffement. J’avais même failli lui rentrer carrément dedans une fois où il m’avait doublé sans aucun ménagement, en me poussant dans la ligne au passage. Pourtant, à force de le côtoyer et de le voir faire, j’ai appris à l’apprécier, puis à connaître hors de l’eau sa personnalité attachante, parfois un peu tourmentée, ses doutes aussi, pour en devenir un inconditionnel. Apparemment pas un ami, de son propre point de vue, si je dois en croire nos discussions philosophiques le soir à Argelès, mais qui sait … aujourd’hui en tout cas, c’est son absence dans la ligne les jours d’entraînement qui crée un vide, ne serait-ce que par le calme qui règne entre les séries lorsqu’il n’est pas là pour nous saouler de paroles !

Tiens, j’ai des messages non lus sur mon portable. C’est Grams, qui ne nage pas aujourd’hui et est allé passer la journée en famille à l’Aqualand du coin. Il suit les courses à distance, s’occupe de la logistique, prodigue de derniers conseils, demande qui peut faire une navette à la gare le soir même … peut-être pas concentré à 100% sur sa « journée famille ». Un autre nageur d’exception, comme Olivier. Autre caractère, tellement différent, autres affinités avec lui aussi. Grams est quelqu’un que j’apprécie beaucoup. Amusant de constater à quel point son rapport avec nous a changé depuis Antibes en 2013, où il débarquait sur le bassin juste pour faire sa course (et prendre sa médaille !) puis repartait aussitôt sans un mot. Il avait eu l’air étonné un jour de me voir arriver en avance juste pour voir sa course et m’avait sorti une formule bizarre du genre « je n’ai pas ton altruisme » (la bonne blague), comme pour s’excuser de ne pas s’intéresser à mes courses. Quelle importance ? Aujourd’hui, il a presque l’air gêné de ne pas pouvoir être avec nous tout le temps et semble insatisfait de n’être à 100% ni avec nous, ni avec sa famille. Pas facile de devoir se partager, l’art du compromis n’est pas donné à tout le monde, je sais malheureusement de quoi je parle …

La pause de midi arrive, on se met donc à l’eau pour s’échauffer en prévision des courses de l’après-midi. Le programme commence avec le 50 NL, que nageront Jean-Paul, Olivier et Jacqueline.

IMG_7653_1.jpgC’est Jean-Paul qui attaque en premier. Je suis sa course avec intérêt. Jean-Paul voulait nager en moins de 33″, il touche la plaque en 32″57. Il serre le poing à la lecture de son temps. Sa satisfaction me fait réfléchir. Jean-Paul a connu des problèmes de santé, et pourtant le voilà sortant de l’eau, le sourire aux lèvres, débriefant sa course. Moi qui redoute par-dessus tout la maladie, le handicap, l’accident de santé, plus généralement la déchéance qu’elle soit physique ou mentale, voici devant moi un nageur C8 qui tape 32″ au 50, qui participe aux interclubs depuis des décennies et qui, en dépit des épreuves qu’il a traversées, retrouve l’eau avec toujours autant de plaisir. Est-ce que j’aurai son courage, sa volonté le jour où ce sera mon tour ? certainement pas. On verra bien le moment venu.

IMG_6110_1.jpgRevoici Olivier pour son 50 NL. Je l’ai accompagné jusqu’à la chambre d’appel en lui disant que j’attendais un 24. Olivier a nagé 24″77 petit bain à Épinal cet hiver, compte tenu de son état de forme et de son niveau, il peut nager en moins de 25″ grand bain. Ce serait une grosse perf, qui le placerait probablement dans les meilleurs nageurs français toutes catégories confondues. Cette course est une explosion d’énergie, l’impression de puissance est saisissante. Olivier prend facilement la tête de sa course et touche au mur en … 25″01. Champion de France bien sûr, le second étant satellisé à 80 centièmes ! Petit geste de dépit à l’arrivée, il va se faire chambrer c’est certain … mais il aura une seconde chance le lendemain soir en lançant le relais 4×50 NL.

IMG_7669_1.jpgLes séries dames commencent. Jacqueline prend le départ dans l’une des premières séries. Comme pour Jean-Paul, je regarde la course de Jacqueline avec beaucoup d’attention. On ne donne pas l’âge des dames mais on le trouve sur extranat, je peux donc dire que Jacqueline a 71 ans. Est-ce que je ferai encore de la natation à 71 ans ? serai-je encore là, et si oui dans quel état ? j’ai souvent l’habitude d’éluder ce genre de question en disant que « je serai mort depuis longtemps ». C’est tellement plus facile de ne pas faire face à ces questionnements. En attendant, j’ai un profond respect pour la perf, la nageuse, la personne. Pas sûr que j’en suscite un jour autant, à 71 ans ou avant, vu que je serai probablement loin des bassins depuis bien longtemps.

Tiens regarde. Ça te va ?

Olivier me tend son téléphone.

J’ai trouvé un resto à Canet. Resto à tapas ! sur la plage ! t’es content là ?

Clipboard-1.jpgJe le regarde en me retenant d’éclater de rire. On tanne Olivier depuis des semaines en lui promettant qu’on l’emmènera à Barcelone manger des tapas. Grams ayant proposé de nous inviter le samedi au camping, on a donc annoncé à Olivier la date du vendredi. Il ne restait plus qu’à lui indiquer qu’on rejoindrait Robin et Jérem, qui se trouvent effectivement à Barcelone pour la finale du Top 14 de rugby, avec la promesse d’être rentrés au plus tard à 7 h 30 pour ne pas louper l’échauffement du matin … refus catégorique d’Olivier, qui répondait qu’il ne s’était pas « entraîné toute l’année pour craquer 12 heures avant [son] 100 NL » ! Cette soirée en Espagne était devenue le running gag du moment, l’allusion obligée en présence d’Olivier, qui avait joué sur à peu près tous les registres pour nous en dissuader (jusqu’à l’ultime « j’irai dormir chez ma mère » !). Il avait déjà eu l’air de perdre un peu de son assurance quand j’en avais remis une couche lors de notre voyage en voiture le mercredi, en lui garantissant qu’on le traînerait en Espagne qu’il le veuille ou non. Apparemment il a quand même dû se demander si on était vraiment sérieux pour que lui, l’autoproclamée « quiche en organisation », aille de sa propre initiative jusqu’à nous chercher un resto …

Ben ça a l’air bien. Mais on avait dit qu’on irait en Espagne alors …

Oui ben c’est des tapas. C’est ce que tu voulais non ? Et c’est à 10 minutes d’ici, on pourra se coucher tôt ! j’ai mon 100 NL demain moi !

C’est que …

Men fous jdors chez ma mère.

Peut-être mais on a regardé avec Thierry pour aller à Rosas, c’est à 1 heure de route et on part directement après mon 100 brasse, donc prépare déjà tes affaires et …

Oui OK c’est ça. Bon j’appelle pour réserver.

IMG_7616_1.jpg100 brasse, série 18. Je me prépare derrière le plot n°3. Beaucoup de choses se sont passées depuis mon dernier 100 mètres en grand bain, c’était à Chalon l’année dernière. Depuis, j’ai pris une gifle monumentale à Angers en mars. Pas mal de certitudes ont été ébranlées au passage et beaucoup de questions ont resurgi. Les interrogations classiques, pourquoi est-ce que je fais tout ça, qu’est-ce que je projette dans la natation, qui est certes un loisir mais avec des attentes à la hauteur de l’investissement quotidien dans l’eau … l’après-Angers a été un peu compliqué, j’ai relâché mon effort à l’entraînement pendant quasiment un mois et demi, et j’ai préféré mettre entre parenthèses la saison en grand bain en essayant de me détacher du chrono pour tenter de retrouver un nouvel élan l’année prochaine. L’idée d’arrêter (une nouvelle fois !) la compétition m’a travaillé pendant quelque temps. Trop de frustration. Je monte sur le plot en me répétant la phrase-clé de Grams : il faut sortir des rails ! Je me remets donc en tête la stratégie de course que je me suis donnée : ne pas partir en me mettant tout de suite dans le dur comme à l’accoutumée mais nager le premier 50 aux sensations, une révolution pour moi qui ai l’habitude de surpréparer mes courses. Toucher frais aux 50. Pour le retour on avisera.

Dès la sortie de coulée les sensations sont bonnes, j’essaie de nager ample, sans mouliner, en recherchant une efficacité maximale. La sensation de glisse est agréable, ça manque quand même un peu de fréquence par rapport à d’habitude tout ça … aux 40 mètres je vois le nageur à la 4 devant moi. Il est engagé en 1’19 mais il est quand même assez nettement devant. Pas de nouvelles du gars à la 2 engagé en 1’22, je vire et je le vois dans ma vague.

Nom d’un chien. Je suis parti beaucoup trop lentement.

Clipboard-3.jpgEn sortie de coulée, je vois maintenant les pieds du gars à la 4. S’il nage vraiment en 1’19 je suis en train de prendre un gros plomb. Faut se secouer pour recoller maintenant. Je prends les appuis les plus solides possibles, les avant-bras plantés dans l’eau, en essayant de bien placer mes épaules, je relance un bon coup et … ben rien ne se passe, on ne s’assoit pas comme ça sur un mois et demi d’entraînement. Le manque de lactique en juin suite à mes problèmes de dos se fait sentir, les avant-bras brûlent, les jambes traînent et je sens bien que je passe au travers de l’eau. Va falloir tenir maintenant, et essayer de ne pas exploser sinon ça risque d’être vraiment mauvais. Je serre les dents en essayant de rester le plus clean possible techniquement mais j’ai l’impression d’être collé dans l’eau, bon sang que c’est lent. Je touche enfin la plaque. 1’21″08. Houlà, c’est vraiment pourri comme temps, à plus d’une seconde du 100 de Chalon et encore plus loin de mes attentes (comme quoi j’en avais quand même !), mais bon on a dit qu’on ne regardait plus le chrono, et puis après tout je suis sorti de mes rails … je sors de l’eau en retenant ces bonnes sensations sur le premier 50. C’est épouvantablement lent [passage en 37″60, deux secondes plus lentement que sur le 50 de la veille, quelle honte !] mais il y a peut-être quelque chose à creuser. On verra bien l’année prochaine.

IMG_6403_1.jpgThierry revient après être allé récupérer Louis à la gare de Perpignan. Je retrouve Louis avec beaucoup de plaisir. Il est de toute évidence heureux d’être là, et ces retrouvailles ont un goût particulier suite aux problèmes cardiaques qu’il a connus. Le simple fait de pouvoir renager en compétition est déjà un accomplissement en soi, se retrouver en déplacement sur plusieurs jours, dans une ambiance de vacances, est une grosse cerise sur le gâteau. Ça aide à relativiser et à remettre à leur place les déceptions que peuvent entraîner une approche trop centrée sur le chrono, sur le résultat. Comme le dit Olivier : de la glisse, du plaisir !

IMG_7689_1.jpgLe programme de la journée est terminé, on peut donc filer sur le front de mer de Canet où tout le monde se retrouvera pour le fameux resto tapas dégoté par Olivier. On fait un crochet par la plage en attendant que la famille Grams nous rejoigne. Pas de problème pour tout concilier cette fois-ci … c’est juste une soirée au resto entre amis, puis un coup à boire dans un bar sur la plage, rugby sur grand écran oblige … même si Olivier trouve quand même le moyen de râler en buvant son Perrier-rondelle, on se couche trop tard ici ! et mon 100 NL de demain alors ! ça manque un peu d’assertivité tout ça. On aurait vraiment dû l’emmener en Espagne.