Telle est la devise de Nicolas Granger, qui nage dans la catégorie maître au meilleur niveau mondial, après avoir été leader français du 4N dans les années 90. La revue américaine Swiming World vient de lui décerner le titre de « meilleur nageur maître mondial de l’année 2012 », après qu’il ait battu 7 records du monde en catégorie C5 (45-49 ans) en grand bassin. Il a accepté avec beaucoup de gentillesse de répondre à mes questions lors des derniers championnats de France des maîtres d’hiver à Chartres, et de raconter son parcours sportif et sa « philosophie » de la pratique de la natation. Retranscription de notre entretien.


Je le retrouve à la piscine, allongé sur le dos, les jambes levées, les pieds appuyés contre une colonne, environ deux heures avant son 100m NL.

« Ca ne te dérange pas que je reste comme ça ? »

« Non, non ! Tu nages à Saint-Dizier, ça a toujours été le cas ? « 

« Non, je nage actuellement à Saint-Dizier, mais j’ai pratiqué plusieurs clubs au gré de mes pérégrinations et de mes mutations professionnelles. »

« Tu as commencé à quel âge, quel a été ton parcours en toutes catégories? « 

« J’ai commencé la natation à 6 ans. Jeune j’étais dossiste, mais alors que j’étais junior je me suis reconverti en 4 nages. A cette époque le dos français était « barré » par Frédéric Delcourt [vice champion olympique sur 200m dos à Los Angeles en 1984]. J’appartiens à la génération des Stéphan Caron, Frédéric Delcourt, Laurent Neuville qui lui aussi nage encore en maître. J’ai été champion de France sur 200m 4N et 400m 4N, et recordman de France sur 200 4N. J’ai participé à mes derniers championnats de France en 2003 je pense, j’avais 36 ans et les « carottes étaient cuites ». »

« Tu as ensuite continué en maître ? « 

« En fait je menais déjà une double vie puisque j’avais commencé à participer aux compétitions maîtres, notamment aux Championnats du Monde en 1994, année où j’avais battu des records du monde de ma catégorie. Ensuite j’ai un peu arrêté, puis je suis revenu vers les années 2000. Au total en maître je dois avoir battu une vingtaine de records du monde, et j’ai été 19 fois champion du monde. »

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« Peux-tu parler de ta pratique. J’ai vu sur une vidéo que tu avais dit « Nager en catégorie maître, c’est pratiquer sérieusement sans se prendre au sérieux » « .

« Oui j’ai dit cela, je le pense vraiment. Je côtoie aussi des jeunes mais je trouve que c’est différend. Quand ils doivent concilier l’entraînement avec les impératifs professionnels, familiaux, je pense que les maîtres ont un investissement plus affirmé que les jeunes. »

« Jusqu’à quel âge envisages-tu de continuer à nager à ce niveau ? Tu ne te fixes pas de limite, il n’y a pas de lassitude après toutes ces années ? « 

« Non, nager fait partie de mon équilibre de vie. J’aime ça. A propos de mon avenir en compétition, je ne sais pas. Tant que je suis performant je suis motivé. Je prends plaisir à voir du monde, et avec mes résultats je reçois plein de messages sympas. En fait je ne me pose pas la question de l’arrêt. Nager c’est ce que je fais de mieux, pourquoi est-ce-que j’arrêterais ?
Et ma pratique n’est pas linéaire. Je pars, je reviens. Cette année je ne me mets pas trop la pression. J’ai placé la barre haut l’année dernière, ça sera difficile de battre ces records donc je fais autre chose. »

« Au niveau mondial, est-ce que tu revois souvent d’anciens internationaux qui continuent en maître ? « 

« Non pas forcément. Dans les grandes compétitions comme à Riccione [les derniers Championnats du Monde des maîtres] il y a trop de monde. Tu y vas, tu fais tes courses et tu repars. Mais au niveau français dans ma catégorie C5 il y a une incroyable densité. Sur le 100m NL à Riccione, sur les 5 premiers 4 étaient français [et c’est lui qui l’a emporté]. On est liés, avec Laurent Neuville on s’envoie souvent des textos. »

« Est-ce-que tu peux me parler de tes entraînements ? « 

« Je m’entraîne 5 fois par semaine, pas autant que je voudrais. Et cette année sans entraîneur. Sur les 5 fois, je nage deux à trois fois par semaine dans le public. »

! ! !

« Je sais c’est un peu farfelu. Je fais ce que je peux, et j’essaie d’optimiser au mieux les autres séances. La natation est un sport très contraint. En plus des contraintes familiales et professionnelles, il y a les créneaux d’entraînement, les horaires d’ouverture au public. Ca n’est pas comme si tu fais du footing, auquel cas tu peux courir n’importe quand. »

« Et tu arrives à nager à ce niveau avec ces conditions d’entraînement ??? « 

« Quand j’explique cela on me dit toujours que c’est incroyable. Mais je m’adapte. Cette année je suis un peu frustré, c’est les pires conditions que j’ai rencontrées. Mais cela me donne plus de force dans la tête. J’ai fais toutes mes séries tout seul cette année. Je me dis que mes résultats, je ne les dois qu’à moi-même. Certains jours, si tu as des soucis familiaux ou professionnels, c’est tout juste pas possible. Il faut s’adapter. Je nage depuis 40 ans, et ça fait 20 ans que je suis mon principal entraîneur. Cette année c’était les pires conditions et pour ces championnats j’ai dû faire des choix. Je pense que j’ai fait les bons puisque j’ai quand même battu deux records d’Europe. Mais là il faut quand même que j’arrive à trouver un fonctionnement plus rationnel.

Pour préparer ces championnats je m’étais concocté un plan sur 11 semaines et je m’y suis tenu ! Mais il y a des limites. Sur 100m papillon [remporté en 57″20, nouveau record de France C5] je craque sur la fin, je sais pourquoi. Je sais ce que je n’ai pas pu faire à l’entraînement. Quand je dis que je nage dans le public, c’est vraiment dans le public, avec des mamies au milieu de la ligne, des gens en palmes, des jeunes qui me coursent sur 5 mètres. Il m’est arrivé de faire une séance de 4500m sans pouvoir faire une seule culbute à cause des baigneurs. C’est un peu farfelu. »

« Tu vas nager le 100m NL tout à l’heure. Ca m’intéresse de savoir comment tu t’échauffes. »

« Il y a un ami et mon père qui vont nager avant et je veux les voir, donc je vais m’adapter. Mais je ne vais pas beaucoup nager, juste un peu pour sentir l’eau [il a déjà nagé le 100m papillon le matin]. Pour moi l’important c’est la chambre d’appel, c’est un peu mon « royaume ». C’est un moment que j’apprécie. Je visualise ma course. Il faut se concentrer sur les choses que tu peux contrôler objectivement quand tu nages. Par exemple beaucoup de nageurs disent « il faut que je passe en tel temps … », mais comment peut-on le contrôler ? D’ailleurs ce matin en papillon je suis passé trop vite. Il faut se concentrer sur des aspects qu’on peut contrôler pendant la course, les mouvements, les respirations, c’est ce que je visualise. »

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Le président de la FFN Francis Luyce remet une récompense spéciale à Nicolas Granger à l’occasion de sa désignation comme « meilleur nageur maître mondial 2012 »

« J’ai vu que tu as un tee-shirt de l’Unicef ? « 

« Oui je m’investis pour l’Unicef, dans le Comité Départemental. Comme si je ne faisais déjà pas assez de choses. Je suis délégué départemental, référent dans le domaine du sport. J’aide à provoquer des actions, comme des manifestations sportives, c’est un investissement personnel. »

« Au fait je ne t’ai pas demandé, tu fais quoi comme boulot ? « 

« Je travaille pour la ville de Troyes, au service de proximité, avec les services sociaux. Ca n’est pas toujours facile et ça me fait du bien de nager. »

« En tout cas je te remercie pour ta disponibilité ! « 

« Il n’y a pas de problème, si ça peut être utile je le fais volontiers. Tu peux revenir me voir si tu as d’autres questions. Je pense que ça ne sert à rien de savoir des choses et de ne pas les transmettre, alors si je peux aider je le fais. Par exemple il m’arrive de donner des tuyaux aux copains du triathlon. »

« Je vais publier un article sur le site de notre club, je peux y mettre tout ce que tu m’as dit ? « 

Sourire. « Oui, sinon je ne te l’aurais pas dit !  »

« Ca sera sur le site de l’USSE, un club près de Grenoble. Tu pourras aller le lire. »

« L’USSE? Il y avait un gars à ce club, un ancien nageur … »

Qui ça ? Je réfléchis. Je cite « au hasard » Sébastien Billon qui nage toujours en maître à haut niveau …

« Non, non, un moustachu … »

Je me souviens d’une photo vue sur un ancien livre d’Or du club. « Johny Macaire ? « 

« Oui c’est ça !  »

« Il y est toujours, c’est lui qui nous entraîne. Mais ça fait longtemps qu’il n’a plus de moustache !!! « 

Je le quitte car les séries du 100m NL ont commencé et il veut les suivre.

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Il y a un aspect de la vie de Nicolas Granger que nous n’avons pas abordé dans cette discussion, qui est son « combat » contre le cancer et la place prise par la natation dans cette expérience. Il en parle ouvertement dans les média. Vous pouvez lire cette interview de lui faite récemment pour Le Journal de la Haute Marne.

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Les records du monde 2012 de Nicolas Granger en catégorie C5 (45-49 ans):

en bassin de 50m:
100m NL: 53″94;
200m NL: 1’59″18;
400m NL: 4’13″86;
100m dos: 1’01″71;
200m dos: 2’15″88;
200m 4N: 2’11″22;
400m 4N: 4’44″76;

en bassin de 25 mètres:
100m NL: 51″30;
200m NL: 1’52″87;
100m 4N: 57″68;
200m 4N: 2’04″64;